Capitalisme et société industrielle à la conquête du monde, du milieu du XIXè au milieu du XXè s.


L'âge industriel est le nom donné à une période qui s'étend de la fin du XVIIIè s., marquée par les débuts de l'industrialisation en Angleterre, au milieu du XXè s., marqué par le passage, dans les pays développés, à une économie tertiarisée de type post-industriel. L'âge industriel renvoie donc à un moment de l'histoire de l'OccidentCe moment se marque par le passage d'une économie agraire à une économie industrielle et par la mondialisation du système capitaliste en lien avec le déploiement dans le monde de l'impérialisme occidental. Comment ces phénomènes transforment-ils les sociétés, les paysages et la vie économique des pays d'Europe et d'Amérique du Nord?


Etude: le premier mai


Paysages du monde industriel

L'âge industriel est celui de l'invention de nouveaux paysages. Paysages noirs, envahis de fumée, de la métallurgie et du transport ferroviaire et portuaire en pleine expansion, mais aussi, et surtout, paysages urbains conjuguant la misère populaire et ouvrière, le prestige bourgeois et la prouesse technologique. On retrouvera ces espaces en pleine mutation sur le site de l'Histoire par l'image.

-Lionel Walden, Les docs de Cardiff, 1894. Paysage porturaire ou paysage de gare? Ce port sans eau (les navires sont reléguées dans les brumes industrielles de l'arrière-plan) met en valeur l'importance désormais capitale des usines et des chemins de fer.

Cardiff, dans le pays de Galles, est un des ports les plus actifs de la Grande-Bretagne industrielle. Sa population a été multipliée par plus de 6 en moins d'un demi-siècle, passant de 20 000 à 129 000 entre 1851 et 1891. Ici, transitent les productions du bassin charbonnier et sidérurgique du pays de Galles.

-Théophile Féau, Construction de la tour Eiffel, 1887.

Au moment de la construction de la Tour Eiffel, la France (comme l'ensemble du monde industriel) traverse une période de difficultés économiques. C'est la Grande dépression (1873-1896), liée à une déstabilisation du secteur bancaire, à l'émergence de nouvelles puissances industrielles et de nouveaux secteurs de production et à la concurrence de l'agriculture américaine.

Dans ce contexte, la France organise l'exposition universelle prévue en 1889, année du centenaire de la Révolution française. Il s'agit pour elle de faire la démonstration de sa puissance économique et technique.

Le monument, en fer puddlé, de 312 mètres de hauteur, est construit par Gustave Eiffel, en 2 ans. 250 ouvriers travaillent à partir des plans de Maurice Koechlin et Emile Nougier. La "tour de 300 mètres", comme on l'appelait à l'époque, reste la plus haute structure du monde jusqu'à la construction du Chrysler Building à New York en 1933.

-L'album zonier d'Eugène Atger, 1899-1913.

A la fin du XIXè s., alors que les grands travaux haussmanniens ont refoulé vers la périphérie de la capitale les populations les plus défavorisées, Paris, grande ville industrielle, reçoit un flot continu de nouveaux arrivants issus des campagnes. C'est ainsi que se constitue autour de la capitale une ceinture misérable, aux logements faits de matériaux de récupération et d'habitations mobiles. La "zone" n'est pas seulement une étendue d'habitat précaire. C'est aussi le lieu d'une intense activité de recyclage des innombrables déchets des presque trois millions d'habitants de l'agglomération.   

 

Pour redécouvrir Paris, ville industrielle il y a encore un demi-siècle, sur le site de la mairie, cliquez ici.

 


Produire en série

La production industrielle, telle qu'elle se développe au XIXè siècle, connaît trois types de rationalisations, vouées à accroître les quantités produites tout en optimisant les coûts.

Rationalisation, d'abord, des investissements, marqués par la concentration des moyens de financement (capitaux, avec la création notamment des sociétés anonymes, cotées en bourses) et de production (usines, machines) entre les mains d'entrepreneurs capitalistes (les "patrons d'industrie") capables de salarier un nombre important d'ouvriers.

Au service de cette rationalisation financière, rationalisation technique: fabriquer un produit de qualité satisfaisante en gaspillant le moins possible de temps, de main d'oeuvre et de matière première.

Rationalisation fonctionnelle enfin, qui passe par la conception de postes de travail qui permettent que l'effort des ouvriers soit le plus efficace possible. C'est l'organisation scientifique du travail, imaginée par l'ingénieur américain Charles Taylor et son application par l'industriel Ford, sous la forme du travail à la chaîne, qui symbolisent le mieux cette rationalisation. Mais l'intervention de deux grandes personnalités de l'âge industriel ne suffit pas à expliquer une évolution qui touche l'ensemble de la production et de l'espace social tout au long de l'âge industriel. L'exemple de la concentration et de la mécanisation de l'industrie textile permet de voir le lent passage (la disparition de la proto-industrie textile n'est effective qu'au milieu du XXè s.) d'une activité disséminée dans les habitations paysannes à la manufacture, concentration d'ouvrièr(e)s et de machines.  Les paysans, déssaisis d'une source de revenus d'appoint qui leur permettait de maintenir un semblant d'indépendance, abandonnent leurs terres pour devenir ouvriers et salariés et c'est tout une organisation sociale qui se voit transformée.

C'est ce que montre l'exemple de la proto-industrie vauclusienne de la soie sur le site de l'Histoire par l'image: la culture du mûrier (arbre dont les feuilles nourrissent le ver à soie) et le filage à domicile se développent dans le Vaucluse (et plus largement dans le Sud-Est de la France) dans la première moitié du XIXè s. 15 000 personnes travaillent la soie à Avignon et dans ses environs en 1850 et la France est le premier exportateur de soie du monde. Au départ, la fileuse (car filer est un métier de femme) est assistée d'un chauffeur (un enfant qui entretien le feu sous une bassine d'eau dont la vapeur permet d'amollir le cocon pour dérouler le fil) et d'un tourneur (qui l'aide à dévider plusieurs cocons à la fois). 

Mais dès les années 1830, on invente le chauffage centralisé des bassines et on construit des filatures dans lesquelles le poste de travail de la fileuse, désormais sans assistant, est équipé de robinets d'eau chaude et d'une roue hydraulique qui permet de dévider les cocons. La fabrication de la soie dans les campagnes du Sud-Est de la France recule dans la seconde moitié du XIXè s sous l'effet de la maladie du ver à soie et de la concurrence de la soie asiatique. 


Le développement du grand commerce urbain

La transformation de la production et de la société industrielle s'accompagne du développement en ville des grands magasins, successeurs des magasins de nouveautés nés à la fin du XVIIIè siècle. Le Bon Marché, fondé à Paris en 1838, a servi de modèle au roman de Zola, Au bonheur des dames. C'est le premier de ces grands établissements, qui proposent de la mercerie, des étoffes, des articles de modes et du semi-sur mesure. Symbole du développement du système capitaliste, ils tirent leur succès du l'essor de la petite bourgeoisie urbaine, qui constitue leur principal consommateur, de l'afflux depuis les campagnes d'une main-d'oeuvre à bas prix, de l'essor de l'imprimerie et du développement de la réclame ainsi que de la standardisation industrielle, qui permet d'offrir une abondance de biens de consommation à des prix attractifs. L'alliance du prestige architectural et de nouvelles stratégies d'exposition de la marchandise en fait de véritables temples de la consommation.

Visiter l'exposition que la BNF a consacré à la naissance et au développement des grands magasins au XIXè siècle: Au Bonheur des dames, c'est ici.


Les crises de la croissance

Dorothy Lange. Migrant Mother [Public domain]
Dorothy Lange. Migrant Mother [Public domain]

Le système économique capitaliste repose sur la croissance constante de la production de richesse. Sur le temps long, cette croissance est continue. Mais envisagée sur des périodes plus courtes, elle connaît des ralentissements, comme les deux Grandes dépressions, celle de la fin du XIXè s (1873-1896) et celle, plus connue, des années 1930.

Les crises du capitalisme industriel se distinguent des crises dites "d'Ancien régime" par le fait qu'elles reposent, non plus sur la rareté (de produits agricoles, en lien avec les aléas climatiques) mais sur l'abondance (de biens industriels produits dans un contexte de concurrence). Les événements boursiers (comme le Krach de Wall Street du jeudi 24 octobre 1929) y jouent un rôle d'autant plus important qu'ils s'accompagnent, dans un contexte de mondialisation croissante de l'économie, de réactions en chaîne.  

Les fluctuations de la croissance ont été étudiées sous la forme de cycles. C'est le cas avec la théorie énoncée par l'économiste soviétique Kondratiev dans les années 1920. Ce dernier oppose des phases de croissance, liées à l'arrivée d'une innovation majeure, à sa traduction industrielle et à sa commercialisation. La concurrence exacerbée donne lieu à une surproduction qui débouche sur une crise: les entreprises les plus faibles disparaissent, le secteur industriel se recompose et une nouvelle phase d'innovation relance la production de richesse. Ainsi, analysée en fonction de cycles longs de Kondratiev, d'une soixantaine d'années, l'économie mondiale verrait se succéder les cycles de la machine à vapeur et du coton, des chemins de fer et de l'acier (ce que nous appelons "le premier âge industriel"), de l'ingénierie électrique et de la chimie, des hydrocarbures et de l'automobile ("deuxième âge industriel") puis des technologie de l'information ("âge post-industriel"). 

By Rursus/wikicommons [CC BY-SA 3.0]
By Rursus/wikicommons [CC BY-SA 3.0]

L'observation de l'évolution, en indices, des PIB des principaux pays industrialisés montre une récession: la production de richesse diminue par rapport à son niveau de 1929, avant de remonter et de dépasser ce niveau initial, à des rythmes différents selon les pays. L'URSS, extérieure à la mondialisation capitaliste, échappe à ces phénomènes.

By Kimon Berlin/Wikicommons [CC BY 2.5]
By Kimon Berlin/Wikicommons [CC BY 2.5]

La Grande dépression des années 1930 est particulièrement marquée aux Etats-Unis par la brutalité de la crise boursière, l'ampleur du chômage industriel et tertiaire (celui des cols blancs, employés, notamment des banques), qui accompagne, dans le monde rural, une crise qui combine surproduction et difficultés climatiques liées au Dust Bowl (série de tempêtes de poussière qui touchent le Sud-Ouest du pays).

Parmi les images les plus emblématiques de cette crise, les photographies prises par Dorothea Lange dans les camps improvisés en Californie pour recueillir les agriculteurs et ruinés  et partis sur les routes, mais aussi celles des files interminables de chômeurs attendant leur repas à la soupe populaire.


Pour aller plus loin

Découvrez les photographies de la Grande dépression des années trente aux Etats-Unis par Dorothea Lange en anglais ou en français.

 


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